dimanche 5 mars 2017

De la guérilla aux marathons des cimes

PortraitMira Rai, championne de course à pied.


Elle court comme elle respire. Et elle a ce rire en cascade qui exprime une irrépressible joie de vivre. Légère et facétieuse, Mira Rai s’amuse à poser pour le photographe dans un champ dominant l’Abbaye de Montheron. En grandissant dans un village misérable de l’est du Népal, elle n’imaginait pas arpenter un jour des pays inconnus. Jusqu’à ce jour où, un peu par hasard, elle participe à une course de 50 kilomètres sur les flancs de l’Himalaya. C’est sa première compétition et elle remporte l’épreuve. Ce jour du printemps 2014, la roue du destin a tourné en sa faveur.
Mira Rai
La jeune Népalaise, 27 ans, est à Lausanne à l’invitation de Norlha, une ONG lausannoise soutenant les populations de l’Himalaya*. «C’est une femme simple, vive, drôle, une belle personne au tempérament solaire», témoigne Heather Lima, de Norlha, qui l’héberge. De la Suisse, Mira ne sait rien. Sauf que le pays compte beaucoup de belles montagnes. Elle cite Zermatt et le Cervin. Et a entendu parler de la Patrouille des Glaciers. «Un jour, quand je saurai skier, je viendrai!» C’est dit avec détermination.
L’endurance, c’est le menu quotidien de Mira. A dose gargantuesque. Elle s’entraîne cinq heures par jour. «Je suis toujours émerveillée quand je cours dans la nature», dit-elle dans un anglais hésitant. Les collines du Jorat font son bonheur, mais son terrain de prédilection est plus escarpé: elle excelle sur les sentiers vertigineux, avalant des dénivelés XXL. La douceur de sa voix contraste avec la rudesse des efforts qu’elle s’impose. Ses disciplines, le trail et l’ultra-trail, réunissent les drogués de l’endurance sur des parcours démentiels. Jusqu’à 100 kilomètres à franchir d’une traite, avec des montées carabinées et des descentes à vous briser les articulations. Très tendance, ce sport a désormais son circuit international. Mira rêve d’en devenir la reine. L’égale au féminin du marathonien des cimes Kilian Jornet. A l’évocation de ce nom, Mira tapote sur son smartphone et montre des photos où elle pose aux côtés de l’Espagnol: ils se sont entraînés ensemble dans les brumes britanniques.
«Rejoindre les rebelles maoïstes a été un levier pour une vie meilleure»
Entre deux séances de course dans les bois du Jorat, Mira raconte son histoire avec cette surprise: adolescente, elle a été enfant-soldat dans la guérilla maoïste hostile au régime féodal perpétué par la royauté et le gouvernement népalais. Dans son cas, assure-t-elle, l’épisode a été «un levier vers une vie meilleure».
Mira n’a partagé le quotidien des rebelles que durant les deux dernières années de la guerre civile népalaise, qui a fait plusieurs milliers de morts en dix ans. Elle n’a jamais dû participer à des combats. En revanche, elle a reçu un entraînement aux armes, aux arts martiaux et aux sports d’endurance. L’essentiel est ail­leurs. «Je me suis émancipée de ma famille et de la vie rurale.» Auprès de ses parents, elle était condamnée à se marier jeune et à ne jamais quitter son village. «J’ai rejoint la guérilla parce qu’elle défendait un modèle de société égalitaire. D’ailleurs, ses chefs traitaient les femmes avec respect; ils les considéraient comme égales aux hommes.»
Quand, en 2006, la guérilla dépose les armes, un gourou qu’elle a connu dans les camps maoïstes lui apporte un soutien crucial. Il la dissuade de partir tenter sa chance en Malaisie, où elle croit pouvoir trouver un emploi rémunérateur. Il l’encourage à faire de la course à pied, convaincu de son potentiel exceptionnel.
Une endurance forgée par les travaux de son enfance
Son enfance passée à courir tous les jours pour des corvées d’eau et de bois épuisantes, puis pour des allers-retours toujours plus longs vers des marchés, a forgé son endurance et sa résistance à la souffrance. Enfant, elle a aussi participé à la vie des champs, portant de lourdes charges qui l’ont rendue robuste. «Nous vivions dans la précarité. Certains jours, il n’y avait pas assez à manger.»
La première victoire de Mira au Népal n’a pas échappé à un Britannique lui-même coureur de trails. Richard Bull est devenu son coach et organise son calendrier de courses. «Mira Rai va bouleverser la communauté du trail», prédit Marcus Warner, président d’une association de coureurs. Entre-temps, un équipementier a pris la Népalaise sous son aile, un contrat se discute. Eloignée de ses parents qui la soutiennent, à l’aise dans la famille des trailers, Mira aligne les découvertes, de course en course, entre Asie et Europe. Elle en tire du plaisir et quelques revenus. Mais ce qui lui importe le plus est de délivrer ce message: «Je veux être un exemple pour les Népalaises. Si on leur donne une chance, elles réussissent de grandes choses.»